Olivier Roussat (Bouygues Telecom) : ''Free et le mobile : retour aux réalités''

Created on
min reading

Le point de vue d'Olivier Roussat, Directeur général de Bouygues Telecom, publié dans Les Echos daté du 2 juillet 2012 sous le titre "Free et le mobile : retour aux réalités", est désormais diffusé sur le site du groupe Bouygues. Nous vous en proposons donc ci-après la retranscription.


"Les pompiers pyromanes crient plus fort que tout le monde, comme le montre le point de vue publié dans ces colonnes par Xavier Niel (Les Echos du 22 juin 2012, NDLR). Je sais bien que les Français ont un faible pour les Robin des bois, encore faut-il que ceux-ci ne mettent pas le feu à la forêt.

Oui, tous les acteurs des télécoms sont frappés : les opérateurs mais aussi sous-traitants et distributeurs, puisque le modèle Free d'abonnement sans téléphone ne peut que mettre en difficulté les réseaux indépendants de boutiques.

Quel paradoxe de voir le propriétaire de Free nier les risques qui pèsent sur l'emploi ! Il est bien l'un des responsables de la situation qui déstabilise profondément un secteur d'avenir, essentiel pour la compétitivité française. Il omet de préciser qu'à fin 2011, plus de 30 % de ses effectifs se trouvaient dans des pays à faibles coûts de main-d'oeuvre, tandis que Bouygues Telecom peut être fier de ses 10.000 emplois... en France.

Pompier pyromane, oui, mais ' l'un ' seulement des responsables. Il ne mérite, en effet, ni l'excès d'honneur ni l'indignité de porter seul ce fardeau qui peut, socialement et économiquement, coûter si cher au pays. Beaucoup l'ont déjà dit à raison : la manière dont a été imposée la quatrième licence de téléphonie mobile, en 2009, repose sur une triple erreur.

Erreur de diagnostic, d'abord : il n'était pas utile d'imposer un quatrième opérateur pour faire baisser les prix. Les tarifs des forfaits mobiles en France avaient commencé à le faire fortement bien avant l'arrivée de Free sur le marché, avec la diminution des prix de gros des communications, fixés par le régulateur. L'Ofcom, très respecté régulateur britannique, a d'ailleurs montré que, avant même l'arrivée de Free, les tarifs des opérateurs français étaient plus bas en moyenne que ceux de leurs homologues allemands, italiens, espagnols ou américains.

Erreur d'exécution, ensuite : les modalités réglementaires offertes au quatrième opérateur l'avantagent excessivement au détriment d'une concurrence équitable. Pour servir tous les Français, pour assurer la couverture de l'ensemble du territoire, pour construire leur réseau, l'entretenir et l'adapter aux technologies nouvelles, les trois premiers opérateurs ont effectué de gigantesques investissements. Chaque année, Orange, SFR et Bouygues Telecom y consacrent chacun entre 600 millions et 1 milliard d'euros. Depuis sa création, Bouygues Telecom a investi près de 10 milliards d'euros financés en particulier par des augmentations de capital qui ont dépassé le montant des dividendes servis. Il a fallu plus de dix ans à Bouygues Telecom pour atteindre sa rentabilité, laquelle ne dépasse en aucun cas les standards des entreprises industrielles.


En revanche, Free, selon ses documents financiers, n'a consacré en 2011 que 142 millions d'euros aux investissements dans son réseau mobile. En permettant au quatrième opérateur de ne pas avoir à bâtir son propre réseau mobile et à utiliser celui d'un autre, l'Etat et le régulateur ont ainsi créé une étrange espèce, à mi-chemin du coucou et du bernard-l'ermite : un couple où celui qui entre sur le marché sans aucun produit innovant se fait héberger pour le plus grand profit de l'ex-monopole, mais au détriment des autres opérateurs et de tout le secteur.

Free se trouve dans la situation dont n'ose rêver aucun entrepreneur : pouvoir n'investir dans une zone qu'une fois qu'on est certain d'y avoir des clients, c'est-à-dire avec un risque zéro, et pouvoir concourir avec la souplesse des coûts variables face à des concurrents entravés par leurs coûts fixes.

Facile, à ce compte, de ' casser les prix '. Ou, plutôt d'en donner l'illusion, par rapport aux offres d'autres opérateurs qui, elles, proposent un téléphone ou un smartphone ; qui, elles, entretiennent un réseau de points de vente irriguant le territoire ; qui, elles, sont accompagnées d'un service client de la qualité de celui de Bouygues Telecom.

Erreur économique et financière, enfin. Les conditions accordées à Free ont déjà coûté très cher à l'Etat, donc aux contribuables. Parce que la quatrième licence a été octroyée à des conditions très favorables, tout le monde en convient. Parce que les 27 % du capital de France Télécom que détient l'Etat ont perdu la moitié de leur valeur, ce qui représente la bagatelle de 7 milliards d'euros d'argent public partis en fumée. Parce que, en fragilisant le secteur par une introduction mal maîtrisée du quatrième opérateur, on n'appauvrit pas seulement les entreprises concernées mais aussi les finances publiques, qui vont nécessairement perdre des milliards de recettes fiscales au moment même où elles en ont le plus besoin. Sans parler du risque de surendettement qui va peser sur les ménages, qui seront tentés de se reporter sur des crédits revolving pour acheter leur téléphone.

Que reste-t-il ? La baisse des tarifs, au bénéfice du consommateur ? Mais pour combien de temps... les prix d'appel n'auront qu'un temps et il faudra bien, un jour ou l'autre, que le régulateur rétablisse une concurrence équitable, que l'on revienne à une situation saine qui obligera Free à investir dans son réseau mobile, et donc à devenir, enfin, un opérateur comme les autres, luttant à armes vraiment égales. Le plus tôt sera le mieux, car, en attendant, que de dommages auront été provoqués...".

Sources : Groupe Bouygues & Les Echos.